Sur le seuil du chemin, un peu de mémoire se déroule et s’efface. Drôles de chemins... L’homme qui marche sent s’éveiller en lui des souvenirs indistincts qui s’emparent ardemment de ce qu’il ressent dans l’instant. Ce bref instant se mêle aux temps passés, déclenchant au passage une vague sourde de couleurs, de formes, de mouvements, de chants, de gestes et d’odeurs. Il peine à se réveiller. Les images endormies font apparaître des détails confus qui se gravent en constellations parmi les strates éboulées de sa mémoire. Troublé, l’homme croit marcher et disparaît. Le passant est passé. Au fond du lit de terre, une rivière de larmes remplace celle du sang. L'ombre de l'enfant se projette sur les planches enfouies dans la nuit. Seul, l'enfant fuyant les flammes devra grandir encore pendant longtemps pour y voir, de très loin, quelques étoiles dispersées qu'il tentera d'apprivoiser. Il ne sait pas encore qu'une larme est le plus juste des miroirs.
D’un geste brusque, la rivière a coupé en deux le chemin poussiéreux. Le cours de l’eau, suivant celui du temps caillouteux, interrompt sa route... Un peu sable tombe inexorablement dans le gouffre du sablier. Drôles de rives... La rivière, se mouvant, réveille en elle-même des souvenirs indistincts qui se mêlent confusément ce que ressent le nageur. Il plonge. À l’instant, des bulles s’entrechoquent et se mêlent, enfermant en silence une toute petite part des temps passés.